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Maho Jonathan, Redécouvrir Robert Mapplethorpe

MAHO Jonathan, « Redécouvrir Robert Mapplethorpe. Attentes et enjeux dans l’étude du fonds archivistique conservé au Getty Research Institute », in : Études photographiques, vol. 35, 2017, pp. 1-24.

« Jonathan Maho a soutenu en octobre 2015 une thèse de doctorat portant sur la réception de l’œuvre de Robert Mapplethorpe. Préparée sous la direction de François Brunet à l’université Paris 7, sa thèse propose de reconsidérer le travail du photographe grâce à une historiographie critique et institutionnelle […]. Plus généralement, son travail concerne l’histoire des expositions et la performativité́ des images. Ses recherches ont porté sur l’incidence du financement et des choix curatoriaux sur l’étude de l’œuvre de photographes et de plasticiens. [1] »

Cette étude revient sur le traitement d’un fonds archivistique qui a permis de reconsidérer l’œuvre de l’artiste et de donner une place à son processus dans l’histoire de la photographie.

1ÈRE PARTIE : MAPPLETHORPE, CET INCONNU 

2016 – année faste pour la redécouverte de Robert Mapplethorpe (1946- 1989), malgré de nombreuses études déjà élaborée et une répétition dans le contenu des expositions et publications. Son œuvre est pourtant plus riche et variée (collages, Polaroid, peinture) que ce que ces contenus prétendaient.

Expositions et publications de 2016, rendues possibles par l’examen des « Robert Mapplethrope papers and photographs », accessibles depuis 2013 au Getty Research Institute (GRI) à Los Angeles ; fonds archivistique légué par la M. Mapplethorpe Foundation en 2011 :

–  « Robert Mapplethorpe : The Perfect Medium » (Los Angeles, Getty Museum, 15 mars-31 juillet 2016 et LACMA, 20 mars-31 juillet 2016)

–  « Mapplethorpe + Munch » (Oslo, musée Munch, 6 février-29 mai 2016) – Robert Mapplethorpe : The Archive (Frances TERPAK, Michelle BRUNNICK [dir.], Los Angeles, Getty Publications, 2016)

Mapplethorpe : Look At The Pictures (réal. : Randy BARBATO, Fenton BAILEY, Film Manufacturers / HBO, 2016)

2ÈME PARTIE : CONTEXTE

But : comprendre les enjeux entourant l’étude des archives par le contexte de l’attribution du fonds documentaire.

Rôle de la R. Mapplethorpe Foundation (1989) – gestion du patrimoine de l’artiste, tirage des épreuves qui n’ont pas été produites de son vivant et valorisation de l’œuvre au niveau institutionnel (dons et participation à l’étude de l’œuvre). Elle propose également un programme de bourses aux institutions pour les aider à la participation de l’étude de la photographie.

En 2011, l’objectif de la fondation était donc de « s’assurer que la part la plus importante du legs soit valorisé par des institutions renommées tout en encourageant financièrement leur travail sur la photographie.

-> Échange de bon procédé avec le Getty Museum qui a, à cette occasion, a pu investir dans son objectif de création d’un important fonds d’épreuves (2 millions d’épreuves aujourd’hui) ainsi que de département de recherche.

3ÈME PARTIE : L’ŒUVRE RÉVÉLÉE PAR LES ARCHIVES

Justification de choix des institutions : LACMA pour le contexte de l’art moderne et contemporain qu’il offre, le Getty Museum pour son contexte plus restreint par son centre d’étude sur la photographie, et le GRI pour des conditions d’accueil et de conservation (avec certaines conditions contractuelles)

Les non-editioned prints sont des travaux de l’artiste qui ne sont pas de tirages argentiques (parmi 4’000 œuvres produites, plus de 2’000 sont des non-editioned prints – collages, des techniques mixtes, des installations)

 « La photo n’est pas le médium par lequel Mapplethorpe choisit de s’exprimer, mais ce qu’il considère comme un révélateur d’émotions. Pour lui, la force de l’image ne réside donc pas tant dans ce qu’elle capture […] que dans ce qu’elle révèle chez celui ou celle qui la regarde. [2] »

À propos de la variété de l’œuvre de Mapplethorpe, focalisation sur la réappropriation de certaines images par l’artiste, distinctions par le GRI entre : les collages au sens strict du terme, les travaux réalisés à partir de pages de magazines recouvertes de peinture (portraits, scènes de sexe, photographie vernaculaire et pages de papier), et des installations réalisées à partir de 1968 (à partir d’étoffes / objets collectionnés ou combinées à des objets sous forme de totems / autels / boîtes rappelant un confessionnal)

4ÈME PARTIE : LE POUVOIR MÉDIATEUR DE L’IMAGE

L’artiste et son rapport à l’image : évocation d’un sentiment adolescent qu’il ressentait face aux couvertures de magazines photographiques auxquels il n’avait pas accès. L’idée de l’attirance pour l’interdit et le censuré, rendu par ces images au contenu pornographique, qu’il souhaite retranscrire dans l’art.

-> Iconographie de la censure créée dans les années 1940 à 1960, pour et par un public homosexuel, (bandeaux et autres éléments de masquage) qui se retrouvent dans ses premiers travaux

À propos des photographies de type «Beefcake Magazine» dans la collection : font référence aux photographies de l’univers culturiste (bodybuildig), produites en série dans les années 1950-60. Mapplethorpe retravaillait ces images en censurant les parties génitales avec des aplats de peinture ; il « surmonte de façon créative la censure associée à ses premières expériences sexuelles ».

Retour sur la variété de l’œuvre de l’artiste (cibachromes, gravures, Polaroid, lithographies et tirages au platine) connu pour ses tirages argentiques. Lien avec une sorte de libération de contrainte dans sa technique.

5ÈME PARTIE : L’USAGE DU FONDS ARCHIVISTIQUE DANS L’ÉTUDE DE L’ŒUVRE

Sujet abordé : le déficit présent dans les expositions et ouvrages se basant sur les tirages argentiques de l’artiste, malgré la variété de son œuvre. Biais de la réception de l’œuvre à cause d’un corpus peu représentatif Possibilité de réévaluer sa démarche par le peu de documentation manuscrite de l’artiste. Ces archives permettent de comprendre les motivations, le contexte et les références de son processus artistique. Exemple : Banana and Keys* qui fait référence aux codes utilisés durant les années 1960-70 pour signaler discrètement ses préférences sexuelles.

« Par l’examen des pièces conservées en archives, on peut interpréter l’œuvre de Mapplethorpe comme son propre fétiche. La photo est devenue le substitut d’une émotion sexuelle primaire, un objet dans lequel s’est déplacé́ le sentiment ressenti adolescent. [3] »

Parallèles avec l’histoire de la photographie

–  Évocation de la fabrication de la photographie par son œuvre variée dont le résultat est une pièce unique, comme une plaque photographique. L’auteur fait un lien avec la fabrication de l’identité chez l’individu qui ne peut s’identifier qu’à des images négativement connotées (comme il en a été question pour Mapplethorpe).

–  Une œuvre qui fait écho à des thèmes marginaux à cette époque, à travers le médium de la photographie qui lui-même souffrait d’un manque de considération.

-> Réévaluation de la place du médium de la photographie dans l’histoire de l’art ; évolution de son statut

6ÈME PARTIE : QUELLE PLACE ACCORDER À CES ARCHIVES DANS LES ÉTUDES FUTURES?

Problématique : Les œuvres uniques susmentionnées, révélant les intentions de l’artiste, méritent-elles d’être plus visible dans les expositions ?

Réponse de l’auteur : Elles permettraient de réajuster le discours sur Mapplethorpe, qui a été mal compris malgré sa sur-exposition, pour les raisons suivantes :

– Œuvres produits avant la réception polémique aux États-Unis de ses photographies les plus controversées (provoquant un facteur d’exclusion de ses autres travaux)

– Travaux très différents de ceux qui ont qui ont été étudiés par les institutions depuis la mort de l’artiste (occasion de revenir à l’essence de l’œuvre)

ANALYSE

Cet article adopte une structure rigoureuse et progressive. L’auteur est soucieux de recontextualiser l’œuvre de l’artiste à la lumière de ses archives. Il commence par contextualiser le regain d’intérêt pour Mapplethorpe, avant de détailler les enjeux institutionnels liés à la valorisation et à la conservation de son fonds. Il démontre que la richesse de ce corpus réside dans ses expérimentations souvent méconnues. Ainsi, il inscrit son travail dans une histoire élargie de l’histoire de la censure, et plus largement dans une histoire de la photographie.

RÉFÉRENCES

[1] [Issu de l’article] MAHO Jonathan, « Redécouvrir Robert Mapplethorpe. Attentes et enjeux dans l’étude du fonds archivistique conservé au Getty Research Institute », in : Études photographiques, vol. 35, 2017, pp. 1-24, ici pp. 23-24.

[2] MAHO Jonathan 2017, p. 6.

[3] MAHO Jonathan 2017, p. 15.

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