Aloïs Riegl, The Origins of Baroque Art in Rome
RIEGL Aloïs ; éd. et trad. par HOPKINS Adrew et al. avec essais de PAYNE Alina et al., The Origins of Baroque Art in Rome, Los Angeles : Getty Research Institut, 2010, 292 p.
Aloïs Riegl est un historien de l’art autrichien, membre de l’école de Vienne. Il fut conservateur au musée des Arts décoratifs de Vienne (1886), puis professeur à l’Université de Vienne (1897). Contre les théories mécanistes de son époque, il a montré que les formes décoratives ne sont pas seulement le produit d’une technique et d’un matériau spécifique, mais le résultat d’une intention ou volonté artistique (Kunstwollen). Il a fait progresser les méthodes d’analyse de l’œuvre d’art [1].
Die Entstehung der Barockkunst in Rom est la publication posthume (1907) de notes d’enseignements dispensés par Aloïs Riegl à l’Université de Vienne entre 1894 et 1902. La présente édition, The Origins of Baroque Art in Rome (2010), propose la première traduction de l’allemand à l’anglais de ce même texte par Andrew Hopkins et Arnold Witte, ainsi que trois essais contextualisant les propos d’Aloïs Riegl par Andrew Hopkins, Arnold Witte et Alina Payne.
Aloïs Riegl a écrit ces textes dans un contexte de fin du XIXe siècle, moment où les historiens de l’art commencent à s’intéresser à l’impulsion derrière la création et non plus uniquement à son résultat, en l’occurrence au développement du style baroque et à sa définition, qui à cette époque était vu comme un déclin vis-à-vis de l’art de la Renaissance. Dans ce recueil, il propose une description et une analyse méticuleuse, méthodique et individuelle d’une multitude d’œuvres, en s’intéressant à l’architecture, à la sculpture ainsi qu’à la peinture entre 1520 et 1610 environ. Son approche traite de l’art baroque en tant que tel, et non pas à l’art baroque en tant que déclin. En cela, son approche diffère de celle de ses contemporains tels qu’Heinrich Wölfflin et August Schmarsow. L’aspect pionnier de son approche se manifeste également dans le fait qu’il accorde une grande importance à l’étude et à la critique de sources écrites contemporaines aux œuvres pour articuler ses propos.
PAYNE Alina : Beyond Kunstwollen: Alois Riegl and the Baroque
Professeure d’histoire de l’art et de l’architecture à l’Université de Harvard, Alina Payne propose un essai retraçant les motivations qui ont mené Aloïs Riegl à écrire au sujet des origines de l’art baroque, les choix qu’il a fait pour cela et en quoi son approche est similaire ou novatrice vis-à-vis de ces prédécesseurs tels qu’Heinrich Wölfflin et August Schmarsow. Elle souligne le fait qu’à la fin de sa carrière, le concept de Kunstwollen n’était plus aussi présent que dans ses précédents écrits tels que Stilfragen (1893) ou encore Die spätrömische Kunst-Industrie (1901). Les nouveautés rapportées sont son approche méthodique méticuleuse et individuelle de chaque œuvre abordée, le fort intérêt porté aux sources primaires ainsi que l’étude de la période de l’art baroque en tant que tel, non en comparaison à celui de la Renaissance.
WITTE Arnold : Reconstructing Riegl’s Entstehung der Barockkunst in Rom
Assistant-professeur du département d’Histoire Culturelle de l’Europe à l’Université d’Amsterdam. Son essai est une analyse du statut de la théorie ainsi que de la méthodologie de la première publication germanique originale par Arthur Burda et Max Dvorák en 1908. Il s’intéresse aux manuscrits originaux desquels les textes sont issus, à l’évolution de la pensée de Riegl ainsi qu’aux réactions des contemporains de du recueil lors de sa première publication.
HOPKINS Andrew : Riegl Renaissances
Dans son essai, le professeur d’histoire de l’architecture de l’Université de L’Aquila aborde les deux renaissances qu’on connu les écrits d’Aloïs Riegl. La première une vingtaine d’années après sa mort, dans les années 1920 à la suite de la réédition de son article Stilfrage (1893) ainsi qu’à la suite de plusieurs écrits importants à son sujet dont celui de Panofsky à propos du fameux concept de Kunstwollen*. La seconde a vu le jour à partir des années 1980, à la suite d’une nouvelle vague d’intérêt née avec l’arrivée d’une nouvelle histoire de l’art Anglo-Américaine, menant à la traduction de plusieurs de ses textes.
1ère partie : Introduction
L’introduction traite de l’évolution des intérêts en histoire de l’art dans les pays nordique, en se concentrant principalement sur la perception de l’art baroque par rapport à d’autres périodes artistiques comme l’antiquité et la Renaissance italienne
– Raison de cette préférence pour l’art de la Renaissance italienne
– Définition de l’art baroque
– Différences et rencontres stylistiques
– Intérêt de l’étude des origines de l’art baroque
– Structure stylistique, temporelle et géographique de l’étude
2ème partie : Littérature
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à un état de la recherche des écrits de ses contemporains au sujet de l’art baroque. Il constate que la majorité de ses collègues ayant abordé le sujet jusqu’à présent l’ont fait en fonction de la Renaissance et non pas en tant que développement en soi, avec un regard péjoratif et global sur ce changement stylistique. Il en conclut alors que ce dont l’histoire de l’art baroque nécessite est une étude approfondie de la manière dont Le Bernin a développé son style au sein de sa propre période en dégageant les aspects positifs de son ambition qui a ensuite parcourue l’Europe.
[Burckhardt, Janitschek, Strzygowski, Fraschetti, Gurlitt, Wölfflin, Dohme, Schmarsow]
3ème partie : Sources
Aloïs Riegl présente les différentes sources primaires auxquelles il fait recours en les critiquant, qu’il juge indispensables à la compréhension de l’art de ce temps. En cela, il implique que ces sources primaires doivent être lues ainsi qu’étudiées, et non pas uniquement prises comme factuelles.
« The significance of archival sources lies in the fact that they reveal the intention of art, but they have not been examined for this element in decades. [2] »
[Vasari, Baglione, Bellori, Passeri, Baldinucci, Malvasia]
4ème partie : Le développement du style baroque
Dans ce chapitre, Aloïs Riegl place Michel Ange à la source de la conscience d’un nouveau Kunstwollen qu’il a tenté de retranscrire à travers l’architecture, la peinture et la sculpture. Il s’intéresse à ses œuvres à partir de 1520 et observe quelles caractéristiques de son art dégagent un style novateur par une description détaillée et méthodique de chaque médium. Les tombeaux des Médicis de la Basilique San Lorenzo de Florence, sculptés par Michel Ange, sont présentés comme un tournant vers une nouvelle phase dans l’art, se manifestant par une certaine tension dans le traitement de l’espace et de la profondeur.
Il aborde ensuite la peinture du Corrège et la présente comme introduisant l’émotion exacerbée qui se retrouvera dans la peinture baroque.
Dans un troisième temps, il cherche à répondre à une affirmation de Wölfflin selon laquelle l’art de l’Empire Romain était un art baroque, en montrant les différences dans le rapport de la volonté (the will) et des émotions, ainsi qu’en abordant la composition objective de l’antiquité romaine, devenue subjective dans la peinture romaine.
Finalement, il aborde l’architecture comme transition vers son prochain chapitre, qui nécessite une observation de l’évolution de l’architecture depuis l’antiquité jusqu’à la Haute Renaissance, afin de comprendre l’architecture du maître Michel Ange. Il articule son propos autour de l’évolution des façades de nombreux palais, en saisissant méticuleusement les évolutions de style et particulièrement dans le rendement de l’espace de celles-ci.
5ème partie : Architecture ecclésiastique
La question du plan centré, de son origine et de son usage controversé au 16e siècle. Aloïs Riegl rapporte la manière dont Michel Ange, soit le père du style baroque selon lui, a traité de la direction du chantier initialement attribuée à l’architecte Donato Bramente, à qui le pape Jules II avait commandé un plan centré pour la Basilique Saint Pierre à Rome. Une fine étude permet de mettre en avant les caractéristiques stylistiques anticipant le style baroque amenées par Michel Ange, dont la principale est une condensation/exagération de l’espace intérieur provocant un effet psychologique sur le visiteur.
6ème partie : L’architecture entre 1550 et 1630
Aloïs Riegl propose un découpage en deux temps :
– De 1550 à 1590 : manifestation d’un style sévère/austère baroque dans l’architecture
– De 1590 à 1630 : évolution vers le style Le Bernin qui se manifeste particulièrement dans la peinture
Il s’agit de saisir comment le regard évolutif des papes de la Rome du 16e siècle vis-à-vis de l’architecture antique classique a impacté l’architecture. L’exemple de la commande de pape Urbain VIII pour le Baldaquin de la Basilique Saint Pierre démontre bien cet enjeu ; une volonté de dépasser l’architecture de l’antiquité romaine en utilisant ses vestiges.
Une des caractéristiques majeure évolutive vers le style baroque: « […] exept for the facade and the dome […] the exterior is neglected with respect to the interior. [3] »
Trois générations sont mises en avant à l’image des représentants majeurs de la détermination de l’architecture vers un style baroque entre la seconde moitié du 16e siècle et le début du 17e siècle :
– Jacopo Barozzi da Vignola
– Giacomo della Porta
– Domenico Fontana, Martino Longhi et Carlo Maderno (famille de Lombardie)
7ème partie : La sculpture de l’époque de la Contre-Réforme
Comparaison entre les tombeaux des Médicis par Michel Ange et le tombeau du pape Paul III par Giacomo della Porta. Riegl reprend certains éléments clés déjà introduits dans la partie 4 tels que le rendement de la profondeur, du mouvement et de la symétrie. L’auteur en conclut que le contraste novateur entre la volonté (the will) et les émotions introduit par Michel Ange n’a pas été totalement repris par ses successeurs. Michel Ange fut le premier, depuis l’antiquité, à vouloir représenter une opposition entre le corps et l’âme. Ce rapport ne sera revisité que plus tard par Le Bernin : « With Bernini, there is a new harmony between body and soul. » [4]
8ème partie : La peinture de l’époque de la Contre-Réforme
Le second angle d’étude de l’art de la Contre-Réforme s’articule autour de la peinture, qui est marquée par une rupture à l’arrivée du maniérisme, selon l’auteur, qui ne contient pas la spiritualité introduite par Michel Ange mais certaines caractéristiques comme les poses non naturelles et déchirées des corps, ainsi qu’un usage de la couleur comme un simple ajout. Une importante comparaison avec la tradition nordique et italienne est présente durant tout ce chapitre, notamment avec l’artiste Federico Barocci d’Urbino qui transcende le maniérisme romain-florentin par une approche subtile influencée par le Nord de l’Italie. Bellori le considère comme un pionnier, opposant son style à celui de Michel Ange. Cette rupture s’accompagne des fondations d’académies; c’est la subjectivité qui a déclenché leur création. Face à la nouveauté à laquelle tout le monde aspire, les réalisations approuvées doivent être conservées et transmises.
Autre nouveauté : les artistes commencent à exprimer leur propre idée de l’art ; contrairement aux époques précédentes, lorsque l’artiste répondait aux attentes du spectateur, les artistes modernes imposent leur vision.
Une grande partie du développement est dédiée aux frères Carracci, à leur contribution dans l’art maniériste, à leur rapport à la tradition nordique ainsi qu’aux élèves de leur académie (Académie bolonaise des Incamminati), parmi les plus importants selon Riegl :
– Guido Reni
– Le Dominiquin
– Le Guerchin
– Francesco Ablani
– Giovanni Lafranco
9ème partie : Naturalisme
Dans ce dernier chapitre, Aloïs Riegl aborde le sujet de la peinture naturaliste, toujours en étroite comparaison avec ce qui se crée au nord de l’Europe. Sa figure de référence est Le Caravage, qui, à l’image des naturalistes, méprisait les types traditionnels de beauté et les sujets historiques. Afin de conquérir Rome, Le Caravage s’est rattaché à certaines caractéristiques en relation avec Michel Ange ; il a abandonné la tonalité dorée vénitienne et a modelé ses figures de manière beaucoup plus déterminée, en les faisant ressortir d’un fond obscur grâce à une lumière éblouissante venant d’en haut, l’aspect le plus signifiant de son œuvre étant son rendement naturaliste du pathos.
ANALYSE
Cet ouvrage aborde les écrits d’Aloïs Riegl de manière significative tout d’abord car il s’agit de la première traduction de l’ouvrage Die Entstehung der Barockkunst in Rom (1907) en anglais, et surtout car il propose une approche critique du texte d’Aloïs Riegl par les trois essais qui accompagnent la traduction. Ces essais permettent une compréhension critique des mesures dans lesquelles ce texte fut écrit, puis édité, puis redécouvert à travers différentes époques. Le contenu des notes d’enseignements disposés par Aloïs Riegl en lui-même illustre les problèmes déjà rencontrés à cette époque et encore aujourd’hui quant à la tentative de définir quand commence et se termine la période de l’art baroque vis-à-vis de la Renaissance et surtout quelles en sont les origines. Riegl tente de répondre à cela par un exercice formaliste novateur ; une observation détaillée et approfondie d’œuvre en œuvre. Bien que l’aspect inachevé et traduit de ces textes soit une limite, son apport demeure considérable en son approche observatrice, individuelle et philologique.
RÉFÉRENCES
[1] Dictionnaire encyclopédique Larousse, Aloïs Riegl, disponible à l’adresse URL : https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Alois_Riegl/140982, consulté en ligne le 17 juin 2024.
[2] RIEGL, 2010, p. 103
[3] RIEGL, 2010, p. 175.
[4] RIEGL, 2010, p. 205.